Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 août 2017 2 22 /08 /août /2017 15:26

 

Ronde et énorme, c’est la première image qui nous percute avec le Cénotaphe de Newton, projet réel d’Étienne-Louis Boullée architecte de la géométrie du siècle des lumières mort en 1799 à 70 ans. Auteur d’édifices souvent inaccomplis dont les formes géométriques simples mais gigantesques sont présentées dans d’immenses étendues, sous un ciel bâché et des impressions de clair-obscur. Il y a là déjà des symboles que l’auteur va s’employer à utiliser pour sa narration.

 

Celle-ci couvre plus de 300 ans de notre histoire, puisqu’elle commence en juillet 1783 et se poursuivra au-delà de la chute du mur de Berlin. Dominique Pagnier nous invite à le suivre dans ce livre, de Paris à Moscou, Vienne et Berlin. Mais avec Newton c’est aussi un parcours dans le temps, depuis le projet de Boullée à nos jours et passage par le Berlin-Est de la RDA entre autres. C’est donc peu dire que le voyage sera long et édifiant. Plus particulièrement avec Manfred Arius, nom dont l’assonance nous invite déjà à ce voyage en lévitation, qui connaîtra les deux guerres mondiales du XXe siècle et sera le beau-père du narrateur avant de devenir un agent de la Stasi et ce bien sûr sous le nom de code de « Newton ». Mais le travail du critique n’est pas de dévoiler l’intrigue. Aussi faudra-t-il user de concision et d’ellipse.

 

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Fit-il en se tournant vers Arius et en désignant d’un coup de menton une gravure.

— Le Cénotaphe de Newton

— C’est vraiment impressionnant… Et ça a existé ?

— Non, c’est juste un projet, un rêve…

— Eh bien, Newton, ça vous fera un beau nom de code ! Écrivez Newton et signez de votre nom. »

Ainsi s’agit-il d’une métaphore, celle du communisme, une enveloppe creuse vouée à rester dans l’histoire comme un projet non abouti. ». (Page 371, chapitre 3 : Newton)

 

Si le cénotaphe symbolise le monde communiste, mort et vide, son utilisation comme ballon et la gravitation de Newton sont symboliquement un levier sûr du récit. Ce cénotaphe est censé, grâce à un système cylindrique placé en son centre, produire des anamorphoses. Procédé appelé « art de la perspective secrète » par Albéric Dürer et qui connaîtra son triomphe utilitaire avec le « trompe-l’œil ». Dans ce roman, ces applications seront tout aussi nombreuses. Au contraire de la gravitation, de direction verticale et dont le sens est le bas (le centre de la Terre) la poussée d’Archimède tout aussi verticale a comme sens le haut. Et c’est cette poussée vers le haut qui établit le contrepoint de la gravitation. Le livre va donc telle une Montgolfière nous faire revivre les ascensions et chutes des amours, des hommes et des régimes politiques. Il sera le symbole pétrifié du Komintern mais aussi celui cataclysmique du dôme nucléaire d’Hiroshima.

 

Jeannette, fille tardive de Manfred, nous conduira à suivre la fin de la RDA. Dominique Pagnier, grand connaisseur de cette époque semble à l’image de son personnage en regretter au moins l’appareillage esthétique que l’on doit à l’époque moderne, aussi bien dans le sens de celle qui s’étend de la renaissance à l’avènement du capitalisme, qu’au XXe siècle. Comme Boullée, ce qui semble l’intéresser dans son aspect colossal pourrait être cette part de l’inconscient collectif dans laquelle le goût pour le gigantisme témoignerait d’un regret de l’Antiquité, de celle de « L’harmonie des sphères », causalité universelle et cosmique du plaisir des images et des sons. Manfred connaîtra d’autres histoires d’amour, au risque de les masquer sous la quantité d’information manipulée par l’auteur. Le véritable amour auquel il ne cessera de déclarer sa flamme au long de son récit est le monde de l’Est, représenté par les gentilés la Mitteleuropa.

« Vous êtes amoureux ?

— Oui, du Brandebourg ! » Répondis-je avec enjouement… (Page 142, Première suite brandebourgeoise)

Le cinquième chapitre de son livre sera la « Seconde suite brandebourgeoise » ? Mais l’auteur ne fait pas étalage de son érudition. Le maillage du texte est très précis ce qui fait qu’on ne s’y perd pas malgré la longueur du texte. Et si l’écriture surprend parfois par l’utilisation de certaines tournures peu orthodoxes, sans démagogie, c’est grâce à la solide construction du scénario que le livre prend des aspects de thriller haletant.

 

Grand amoureux de la musique, Dominique Pagnier trouvera avec la chanson (musicalement plutôt anecdotique) 99 Lufballons, une nouvelle occasion de faire de cette grande sphère dédiée à Newton un symbole pour la liberté. Il nous fera part, c’est encore là le musicien qui parle, de la « Symphonie inachevée », autre symbole de la fin du communisme. Inachevée (Die Unvollendete) mais détruite ? Pour quelle raison, l’auteur choisit-il l’interprétation d’Erich Keiber ? Albert Speer apparaît comme architecte et non dignitaire nazi. Il sera Ministre de l’Armement et de la production de guerre sous Hitler et se distinguera comme étant celui qui avertit le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler qu’il devait fuir car étant sur la liste des ennemis du Reich qui devaient disparaître pour avoir participé aux préparatifs d’un complot contre le Führer (Audrey Roncigli, Le cas Furtwängler : un chef d'orchestre sous le III Reich, ed. Imago, 2009). Il fut aussi celui qui, dans Au cœur du troisième Reich (Fayard, 2011) affirma avoir désobéi à l’ordre de pratiquer la politique de terre brûlée imposée par Hitler. L’auteur l’ignorait-il ? Il avait là l’occasion de lier ces événements tragiques aux symboles d’inachèvement de cette histoire de l’Allemagne et de mieux remplir cette partie de l’histoire souvent redondante.

 

Le livre traiterait-il d’un sujet dépassé qui risquerait de manquer d’intérêt pour les générations à venir ? Il donne a contrario un intérêt à ces époques. Le père du narrateur est irrésistiblement attiré par la RDA. Otalgie, Nostalgie d’une « Bolchévita ». Il arrive que des ruines fassent rêver. Et si parfois nous reviennent Les bienveillantes de Jonathan Littell (Gallimard 2006) il est impossible de ne pas penser à ce père dans Le tort du soldat d’Erri de Luca (Gallimard 2014) pour qui la seule erreur est de ne s’être pas trouvé dans le bon camp. Il serait alors dans son droit, le seul qui vaille, celui d'avoir fait son devoir.

 

Si la quatrième de couverture évoque L'homme sans qualités de Robert Musil c’est bien parce que l’origine Austro-hongroise de Manfred nous y convie et son passage à la Stasi semblerait le rendre indifférent aux choses de ce monde. Ce n’est pas totalement convainquant et si il fallait faire un reproche à l’auteur ce serait d’avoir négligé, et il ne pouvait l’ignorer, que l’histoire est écrite par les vainqueurs. L’auteur ne le dit-il pas à mots couverts avec cette présence mythologique et théâtrale d’Iphigénie représentée par Jeanette ? Duplicité du personnage et de la situation. Le chapitre « Iphijeanette » ne nous décrit-il pas un sacrifice dont les exégèses, qu’elles aient été de Racine ou des versions mythologiques variées de la Grèce antique, nous parlent d’un sacrifice détourné ? En lisant ce livre les images du très sémillant film « 123 » de Billy Wilder (1961), tourné jour pour jour au cours de la construction du mur de Berlin, apparaissaient montrant avec une grande finesse comment s’y prenaient les américains pour forcer les passages à l’Ouest. Comme les scènes décrites dans la Vienne en ruine d’avant le mur ne peuvent que faire ressurgir celles du Troisième Homme (Carol Reed, 1948). Son seul tort serait d'avoir perdu la guerre. Malheur au vaincu.

http://www.dvdclassik.com/critique/un-deux-trois-wilder

 

Merci à l’opération de Masse Critique privilégiée de Babélio et aux éditions Gallimard d’avoir permis l’expression critique, donc analytique et discutable, de ce très beau livre, probablement Goncourtisable de Dominique Pagnier auquel il faut souhaiter bonne chance pour la rentrée littéraire.

 

Également un grand merci à ceux qui ont déposé leur critique sur ce site, prenant ainsi la responsabilité d’exprimer leur choix.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Michel PONTE - auteur
  • : Ne cherchez pas à savoir qui je suis. Atypique ou non conforme serait ce qui me conviendrait le mieux. C’est certain ce n’est pas du goût de tout le monde. Tant pis pour les conformistes. Qu’ils restent conformes. J'aimerais vous dire de chacun de mes livres quelque chose qui vienne de l'intérieur. Disons pour commencer que j'écris par plaisir et que mon souhait est de faire partager ce plaisir. J'aime bien dire que "je savais écrire avant de savoir lire".
  • Contact

Recherche

Articles Récents

Liens